Photo de Florence Fournié
Photo de Florence Fournié
Texte de Jean-Louis Rouget, Photo de Philippe Vercellotti
Il est des artistes qui marquent leur époque, René Izaure est de ceux là. Loin de l’agitation vaine de notre monde artistique contemporain, il a su préserver sa particularité d’artiste confidentiel. Cette rareté assumée et voulue, il la doit sans aucun doute à sa sagesse d’homme des montagnes (ariégeoises bien sûr) faite de sérénité, de passion, d’énergie et d’humour.
En tant que professeur de dessin ou de gravure des Beaux-arts de Toulouse il a insufflé un état d’esprit, une manière d’appréhender l’art et la vie à ses étudiants. Ses ateliers ont été des lieux d’expérimentations techniques offrant tous les possibles aux artistes en herbes que nous étions.
L’œuvre de René Izaure est une. Elle raconte la vie d’un homme tour à tour sensible, élégant, enjôleur, sérieux ou profond. Il est hors du temps, des modes. Par choix il décline son travail autour du trait que ce soit en gravure (burin, pointe sèche), en dessin ou en peinture. Sa sensibilité s’adapte à l’outil, le geste est maitrisé, le résultat semble couler de source, sans efforts, du moins en apparence.
Je voudrais tenter de vous emmener au-delà de cette apparente simplicité et facilité d’exécution à travers un dessin (parmi tant d’autres) dont le titre-poème évoque à lui seul l’homme :
« La neige épaisse s’étend à l’infini et pèse sur l’arbre dans la montagne vide » dessin au crayon Wolff (marque de crayon carbone alliant la précision du graphite et la noirceur du fusain) sur papier de 1985.
Imaginez : un arbre vieux, peut-être un cyprès, s’ouvrant et ployant sous le poids de la neige fraîchement tombée, à l’arrière un léger voile d’une brume hivernale efface le paysage, au premier plan quelques ronces et herbes émergent de la neige.
Voyez : un carré de papier blanc, des traits de crayon Wolff, des zones de nuances de gris, de noirs, de blancs, des coups de gomme, quelques griffures et une organisation simple de la composition : une verticale, quelques volutes et un contre point pour mettre en valeur la verticale.
Eprouvez : une sensation de puissance, de calme, de douceur : écoutez le silence.
Prenez plaisir à refaire cette expérience avec d’autres œuvres : un paysage de Vicdessos ou de Rabat les trois seigneurs, un lys, un insecte, une fouine, un rapace, tout semble simple, évident, tellement vrai au premier abord, mais allez plus loin, ou plutôt plus près : zoomez (comme il aimait à le dire), utilisez votre œil pour « espépisser » ce bout de papier parsemé de mille traits de crayon, de mille coups de gomme, de mille nuances de gris, de noirs, de blancs : alors un monde s’ouvre devant vous ! Voici un groupe de bûcherons, de promeneurs au milieu des forêts, ici un défilé d’insectes dans la brume brandissant des pancartes où l’on peut lire « no smoking !», là des arbres à la ramure tortueuse pour mieux singer les hommes, là encore des rochers, des chutes d’eau ou des torrents (ceux de ses chères montagnes ariégeoises) aux graphismes rugueux qui sont comme de lointains échos à la peinture chinoise classique ; là-bas d’ailleurs il est très apprécié car « nul n’est prophète en son pays ».
Maître Izaure est un contemplatif, il observe le monde d’un œil à la fois critique et bienveillant, un peu comme ces ermites-lettrés sous la dynastie des Yuan en Chine au 13ème siècle, qui en s’écartant de la vanité du monde, nous révèlent la beauté de la vie. Il nous invite par le regard et par l’esprit à nous évader de notre quotidien. Il est parti rejoindre discrètement ces nuages qu’il accrochait si tendrement à ses paysages. Il nous laisse ses œuvres magnifiques qui sont autant de sentiers à parcourir, à nous de tenter l’aventure.
Jean Louis ROUGET, peintre, août 2014